Le meurtre d’un Juste africain
Ibni Oumar Mahamat Saleh était un homme de conviction, profondément religieux et humaniste. C’est pourquoi on l’a tué. Démocrate convaincu, pacifiste et visionnaire, celui qui était le leader de l’opposition démocratique tchadienne n’était l’ennemi de personne sauf de ceux qui détruisent le Tchad et tuent son peuple. À ceux du régime actuel comme à ceux de la « lutte armée », il opposa une attitude ferme. Le pouvoir avait multiplié promesses, propositions honorifiques et financières, intimidations et menaces.
Il resta de marbre, répétant inlassablement : « Ce sont eux qui ont peur. La peur a changé de camp malgré l’argent, les armes dont ils ne savent que faire ! » Parlant des opposants armés qui cherchaient des leaders pour légitimer leur cause, il me fit cette remarque : « Ils n’ont pas de chance ! Ceux sur qui ils comptent sont malheureusement des cadres détribalisés… » De fait, Ibni était une figure de cette vague de jeunes Tchadiens des années 1970 que la soif des études et l’ambition d’être élite avaient conduits en France.
Nous nous connaissions originaires des villes où nous avions fait nos études secondaires, un point c’est tout. Tout au plus untel était musulman, donc du nord, et tel autre du sud parce que non-musulman. Nous étions simplement des Tchadiens.
Prudent et retenu, menant une vie privée sans tohu-bohu, Ibni savait aimer, sans soulever de vagues, sa femme, ses enfants, ses parents et ses amis. Il restait aimant et loyal à l’égard de tous ceux qu’il portait en estime.
C’est cet homme sage que des éléments de la garde présidentielle sont venus enlever chez lui le 3 février dernier, devant sa femme et ses enfants. Que ses voisins ont vu jeté dans une Toyota comme un sac de charbon et que le pouvoir a fait disparaître comme un malfrat. Mais il y a des assassinats qui restent indélébiles dans la mémoire
des peuples. Tout ce qui est dit sur cette disparition forcée relève de la guerre des mots. Ce qui est vrai, c’est que Ibni Oumar est bien mort.
Nous étions dans une situation de repli tactique des rebelles. Le pouvoir redoutait leur retour imminent tant les défaillances dans les forces loyalistes étaient criantes. Il a pris les devants pour mettre la main sur des leaders susceptibles d’être les recours dans cette situation chaotique. Dans l’histoire de notre pays, où le pouvoir présidentiel est une chose personnelle, à la limite familiale, il faut éradiquer les ennemis. Ibni en fut la victime. Une main de fer l’a frappé.
Alors qu’il était mal en point, un officier français a été appelé à la rescousse. Il ne put que constater sa mort. Enterré peut-être à la sauvette, le pouvoir le sait.
Un secret d’État vaut mieux en ce temps de prégnance du droit international pour les crimes de guerre. Nous sommes étonnés que nos amis français restent muets devant ce crime, eux qui sont légion dans les structures de l’armée nationale, eux qui sont les meilleurs conseillers du pouvoir. Tous font chorus avec notre exécutif pour clamer qu’ils ne savent rien et ne sont associés à rien. Dans l’affaire Ibni, la vérité serait pourtant plus payante que le silence ou le mensonge. L’homme est déjà un mythe.
OPINION de Gali Ngothé Gatta, ancien ministre tchadien
SOURCE : LA CROIX