Entretien avec M.S. Ibni réalisé par le journal "La Voix" à l’occasion de la journée internationale des disparus.

Publié le par Liberté pour IBNI OUMAR

Ibni Oumar Mohamed Saleh : « (…) nous comptons déposer dans les prochains (…) au nom de la famille contre les forces de sécurité citées sur le rapport de 2008 »

La famille d’Ibni Oumar Mahamat Saleh compte traduire en justice les forces de sécurité citées dans le rapport du comité national sur sa disparition. Ibn Oumar Mohamed Saleh, son fils affirme que l’annonce du ministère de droit de l’homme tchadien autorisant l’ouverture des experts internationaux « était un coup médiatique ». Selon lui, rien n’est encore fait pour avancer la réouverture d’enquête. Entretien réalisé par Lucie Umukundwa pour le site de La Voix, à l’occasion de journée internationale des disparus.

 

Propos recueillis par Lucie Umukundwa

La famille d’Ibni Oumar Mahamat Saleh compte traduire en justice les forces de sécurité citées dans le rapport du comité national sur sa disparition. Ibn Oumar Mohamed Saleh, son fils affirme que l’annonce du ministère de droit de l’homme tchadien autorisant l’ouverture des experts internationaux « était un coup médiatique ». Selon lui, rien n’est encore fait pour avancer la réouverture d’enquête. Entretien réalisé par Lucie Umukundwa pour le site de La Voix, à l’occasion de journée internationale des disparus.

 
Le monde célèbre la journée internationale des disparus, deux ans après la disparition de votre père, que représente pour vous une telle journée ?

Les tchadiens ont mal au cœur. Certains n’arrivent pas encore à se faire à l’idée de la disparition totale et définitive de cet homme, Ibni qui vivait naturellement et simplement, se projetant toujours et sans fin dans un Tchad débarrassé des violences qui tuent par surprise. A l'occasion de la Journée internationale des disparus, anniversaire pour que jamais, au grand jamais, la mémoire de tous les disparus ne connaisse l’oubli et l’indifférence, j’exhorte le Tchad et d’autres Etats qui n'ont pas encore ratifié la convention contre les disparitions forcées à le faire au plus vite. Cette convention renforcera le cadre juridique international de la lutte contre ces pratiques odieuses. De plus, en termes d'efficacité, cette convention est l'un des instruments relatifs aux droits humains le plus vigoureux jamais adopté par les Nations Unies. A travers le Collectif des familles de disparus au Tchad qu’on vient de lancer en ce jour, on lance un appel aux États et aux peuples afin qu'ils mettent tout en œuvre pour débarrasser le monde de cette pratique cruelle et illégale.

Depuis que le ministère de droit de l'homme tchadien a annoncé que le comité d'enquête nationale sur la disparition d'Ibni Oumar Mahamat Saleh est ouvert aux experts internationaux, avez-vous les nouvelles d'avancés d'investigations ?


Le gouvernement tchadien a accepté que les observateurs internationaux participent à l'enquête, mais nous n'avons toujours pas d’application concrète. La commission d’enquête préconisait d’ailleurs la présence d’observateurs internationaux, donc il n’y a rien d’extraordinaire. L’annonce au conseil des droits de l’homme de l‘ONU était juste un coup médiatique à la veille des élections pour faire semblant de régler la question Ibni. Depuis rien du tout, tout est au point mort. Cependant, hormis la plainte contre X que le parti (i.e. PLD) a déposé, nous comptons déposer dans les prochains jours par le biais de l’avocat de notre famille une plainte au nom de la famille contre les forces de sécurité citées sur le rapport de 2008. Cette plainte pourrait facilement remonter à un autre niveau. L’honorable député Gaetan Gorce a demandé par courrier en date du 1er juillet au Ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner des précisions sur les conditions dans lesquelles les observateurs internationaux seront appelés à travailler. Près d'un mois après, on n’a toujours pas obtenu de réponse…


L'intégration d'experts internationaux vous rapporte-t-elle l'espoir de connaître afin la vérité sur la disparition de votre père ?



On regrette qu'il ait fallu utiliser la pression des parlementaires français pour que les gouvernements tchadien et français prennent leurs responsabilités. Ceci change la donne quoi qu’il en soit, on espère que cela puisse faire avancer le dossier. Notons que la disparition forcée, elle-même constitue un crime et, dans certaines circonstances définies par le droit international, un crime contre l’humanité (Lors de sa 87ème session, le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires de l’ONU a adopté une résolution générale rappelant  la définition de la notion de crime contre l’humanité telle que précisée dans les statuts de Rome établissant la CPI) reconnaissant que la pratique peut constituer un crime contre l’humanité. C’est dans cet esprit que nous avons pris contact avec des cabinets britanniques spécialisés sur des questions de droit international (notamment ceux ayant obtenus la comparution de Bemba) pour appuyer notre avocat français Maître William Bourbon. Pour cela on procédera dans bientôt à une levée de fond pour les honoraires de ces services.


Quelles sont vos attentes sur la réouverture d'enquête ?

On espère que la commission retrouvera la trace des personnes «disparues» et prendra en considération les problèmes que rencontrent leurs familles.  Nous attendons que les recommandations qui en découlent soient appliquées sans tentative de dissimulation aucune. C'est-à-dire qu’on nous restitue les corps pour qu’ils puissent avoir une sépulture digne de ce nom, Que les criminels et le commanditaire soient jugés.  Nous avons le devoir de nous montrer digne dans cette épreuve, c’est ce que mon père aurait voulu, que nos passions souvent excessives s’assujettissent à notre raison, et par la suite, notre raison à la justice. Il faut que la vérité sur le sort du Professeur Ibni fasse jour dans l’apaisement le plus raisonné et dans un cadre juridique strict. C’est à ce prix et à ce prix seul que les idéaux de mon père pourront triompher, de la mort, de l’oubli et surtout de ceux qui ont perdu leur nature d’Homme en l’emmenant loin de l’affection des siens.

Pensez-vous que la mobilisation du parlement français sous l'initiative de Gaëtan Gorce a joué un rôle important d'une telle initiative de la part du gouvernement tchadien ?

Il est important de rappeler que c’est la résolution du parlement français qui est en elle même historique et qui constitue une pression qui a permis d’en arriver là. C’est en grande partie à cause de cette pression qu’on a pu aboutir à cette avancée que je qualifie d’historique. J’étais présent lors de la lecture de la résolution à l’assemblée française, un texte que même le président de la commission des affaires étrangères Axel Poniatowski qui est de droite a trouvé juste et a appeler la droite à le voter à l'unanimité pour pousser les autorités tchadiennes à se conformer à leurs engagements vis à vis de la commission d'enquête. Les choses se sont passées sous les yeux hagards d’un transfuge de Ministre Kouchner totalement déboussoler. Mobilisant sa ténacité sur les questions des droits de l'homme, le député Gaetan Gorce vient d’être nommé vice-président chargé des Droits de l'Homme de l'assemblée. Il dérange fortement, mettant à jour des réalités qui ne correspondent pas du tout à celle du discours de la France qui est loin de se comporter comme elle prétend le faire et qui continue à soutenir dans des conditions obscures des dirigeants souvent corrompus et violents qui se comportent à l'égard de leur opposants comme de leur population, d'une façon scandaleuse.

Votre père fait parti de plusieurs victimes de "disparition au Tchad". Pensez-vous qu'un jour le gouvernement décidera d'accorder les réparations aux proches des victimes pour les dommages matériels et psychologiques subis par l’absence des membres de leur famille?

Oui et non en même temps car accorder des réparations c’est reconnaître le crime. S’il suffit d’indemniser des victimes pour régler des affaires nous ne règlerons jamais le problème tchadien. Le plus important, c’est d’abord de juger les coupables et de montrer au peuple tchadien que l’impunité c’est fini. Nous, on veut avant toute chose que le Président tchadien et son gouvernement reconnaissent avoir enlevé, peut être torturé et assassiné notre père. Ensuite, on pourra penser aux réparations et autres mesures de dédommagement. Nous ne sommes pas personnellement concernés par des offres de réparations et c’est dommage que cette procédure se soit établie comme une règle au Tchad dès lors qu’on perd un proche. On veut que les coupables payent de leur crime.

Qu'est-ce qu'une telle initiative peut apporter aux membres de familles des disparus selon vous ?


«Disparaître», c'est s'effacer, cesser d'être, se perdre…Nous membres de la famille  sommes aussi des victimes et nous continuons de souffrir. Après cette disparition, nous survivrons avec une douleur insupportable marquée au fer rouge dans nos cœurs pendant toute notre vie et cette douleur ne sera jamais lénifiée tant que le corps ne nous sera pas rendu et tant que nous ne pourrons lui rendre les honneurs funéraires qui lui sont dus.  Les réparations matérielles sont secondaires car même si nous ne pouvons jouir de quelques richesses que ce soit nous ne pourrions laisser l’affaire de notre père être monnayée par le gouvernement tchadien.

La disparition de votre père ne vous a-t-elle pas découragée quant à l'engagement politique dans votre pays ?


« C’est tout à fait clair ! Nous condamnons la prise de pouvoir par les armes, mais il faut aussi être clair, nous condamnons par la même force sa confiscation par les armes » disait le Pr.Ibni.
On reste toujours fidèle aux valeurs démocratiques, nous avons toujours cru comme mon père à l’alternance par la voie des urnes. Malgré les fraudes électorales massives, les manipulations des suffrages effectuées par Deby et ses vassaux du MPS, nous avons choisi la voie, ô combien difficile, de la lutte pacifique loin de la violence des armes. Que Dieu nous donne la force de ne guère céder au découragement et au désespoir, à continuer de mener une lutte conventionnelle et démocratique avec les moyens dérisoires dont on dispose. Telle la lutte politique au Tchad, la recherche de la vérité est aussi de longue haleine et au contraire je dirai que cette tragédie a davantage stimulé notre engouement et notre motivation à continuer de nous battre. A l’heure qu’il est, mon père a peut-être rejoint le cortège d’ombres de ces martyrs, d’Ibrahim Abatcha en passant par Mahamat Camara (C’était un professeur de mathématiques, ayant étudié en France, militant du Frolinat et membre d’un des multiples réseaux clandestins de Fort-lamy. Arrêté, torturé, il est mort dans les geôles de Tombalbaye vers 1971.) et bien d’autres révolutionnaires tombés pour des causes justes, ceux qui par la folie sanguinaire de quelques hommes médiocres ont sombré bien malgré eux dans le royaume des ténèbres. Le Pr.Ibni était un humaniste dont la simplicité était à des milliers de lieux des excès d’une scène politique tchadienne si orgueilleuse et violente. En l’assassinant lâchement, ils ont contribué à graver son nom en lettre d’or dans l’histoire de notre pays. C’est un honneur pour nous, ses progénitures. On doit se battre pour que l’arbre de la démocratie que notre père, cette figure emblématique du pacifisme au Tchad a planté, grandisse et que ses branches protègent tous les citoyens tchadiens des abus du pouvoir.  Nous devons nous battre pour les idéaux auxquels il croyait et pour lesquels il se battait sans relâche triomphent.


Avez-vous des projets pour votre pays?

Pour nous, la recherche de la vérité sur le sort de mon père est un devoir, une responsabilité et même une priorité. Je voudrais m’acquitter de ce devoir et assumer cette responsabilité avant toute chose. Sinon, comme tout citoyen responsable face à ce qui se passe au Tchad d’un Deby érigé en demi dieu (il n y a qu’a voir la ridicule télé Tchad). Ballottés entre l’exclusion et la torpeur créant un désespoir permanent, le peuple végète dans un environnement sécuritaire et économique incertain, l’opposition pratiquant le nomadisme politique par excès est quasi inexistante et manque de vision. A la merci d’un clan et des quelques fanfarons du parti au pouvoir, notre mère patrie, est devenue un enfer pour ses propres enfants.

C’est à partir de ce constat que j’ai choisi de me tourner vers l’impossible, les utopies, les rêves, les chimères. Toutes ces veuves et ces orphelins éplorés m'ont ouvert les yeux et m'ont guidé dans l'orientation que j'ai donné à ma vie, celle de servir jusqu'à ma dernière exhalation le peuple tchadien. Mais je ne désire pas, je ne veux pas être pareil à tous ces politiciens qui usent à outrance d’expressions dithyrambiques telles que « liberté », « lutte », « unité » ou « fraternité » mais n'aime pas l'Homme tchadien pour ce qu'il est réellement.

Pour construire le Tchad de mes rêves, il me faut d'abord aller à la rencontre de l’autre, à tout prix, trouver ce visage qui se dessine en face de moi. Pour concevoir à nouveau que la femme ou l’homme, qu'il soit du Sud ou du Nord, qu'il soit chrétien ou musulman, qu'il soit proche du régime ou opposant farouche, oui pour concevoir que cette femme ou cet homme qui m’a touché, m’a parlé, m’a aimé est Homme et non plus seulement de la viande que l’on ne peut qu’exalter, écraser, guider ou libérer (un sentiment si propre à ceux qui se croient les puissants de ce monde). C’est l’élément déclencheurs qui m’a stimulé et qui m’a déterminé à aller de l’avant dans le lancement de mon organisation humanitaire Move4Chad a été mon parcours dans le sillage chaotique et souvent déprimant de l’histoire récente de notre pays. C’est dans cet atmosphère chargé d’émotion et surtout de motivation que j’ai décidé à ma modeste échelle de créer cette association où j’essaye de rassembler, de fédérer les tchadiens issus de toutes les régions et toutes les couches sociales sur des projets de développement, «je les invitent à s’asseoir autour de la table de la fraternité » au delà des clivages.

Un message particulier à la commission d'enquête, au gouvernement ou à la communauté internationale ?


La recherche de la vérité, cette lumière de la justice  qui un jour ou l’autre, je le crois avec force, détruira ceux qui veulent l’empêcher d’éclater au grand jour. J’encourage cette commission auquel ont avait pas fait confiance au début et que j’avais même qualifié de parodie pour dédouaner Idriss Deby à collaborer avec les experts que j’ai rencontré au printemps dernier à Genève et qui sont déterminés à faire jaillir la lumière.  Je reste persuadé que cette lumière jaillira grâce à ce travail en symbiose pour mettre au grand jour cette monstruosité de le priver de sa dignité de sa vie, sans raison, sans foi, sans loi, sauf évidemment celle de vouloir satisfaire des considérations politiques primaires et hideuses. Et tous ensemble, nous allons contribuer à ce que ce jour vienne enfin. Il faut que notre pays soit déterminé à prévenir ce crime et à lutter contre l’impunité du crime de disparition forcée.
Je lance un vibrant appel au gouvernement tchadien et en Particulier au garde des seaux monsieur Naimbaye à la ratification de la convention pour la protection des personnes contre les disparitions. , je réclame et réclamerai toujours que justice soit rendue, que toute la lumière soit faite sur le destin qui a été réservé à notre père par ses ravisseurs, que ceux qui se sont rendus coupables de cette forfaiture soient punis par le glaive impartial de la justice.

En tant que citoyens du monde, nous avons des aspirations parfois assez éloignés les uns des autres mais il y a un rêve qui nous a rassemblé et nous rassemble toujours, un rêve de justice, un rêve de dignité, et ce rêve c’est faire la lumière sur le sort d’Ibni et de tous les disparus! Ainsi, il me faut à présent dire merci, merci au peuple tchadien qui nous soutient dans notre lutte pour que plus jamais de pareils actes ne se reproduisent, merci à la communauté internationale qui compatit à notre sort, merci aux ONG des droits de l’homme dont le soutien à notre combat, technique ou idéologique, est incommensurable, merci à la communauté tchadienne de France, merci enfin à tous ceux qui se sont unis à nous dans cette bataille pour le triomphe des droits de l’homme.

Merci

C'est moi qui vous remercie

Source: http://www.lavoixdutchad.com/

Publié dans SOUTIENS POLITIQUES

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